Le projet Osmia
La Grande Bibliothèque (BAnQ) propose en ce moment une installation portant sur l’album du groupe Osmia. Cet album fut composé par les gars de l’Accueil Bonneau qui ont créé les textes, les musiques et interprété les huit chansons. Le résultat final est tout simplement extraordinaire, mais le processus qui a conduit à cette réalisation est lui aussi remarquable. C’est un long travail de collaboration et de persévérance.
La genèse du projet
Le projet, qui a abouti à la réalisation de cet album, a été initié par des chercheures de la Faculté des arts de l’UQAM. Ces dernières s’intéressent à l’apport de l’art dans le rétablissement et l’inclusion sociale des personnes marginalisées. L’équipe de recherche, dont la chercheure principale était Mona Trudel, était composée des chercheurs du monde de l’art et de la médecine.
D’une durée de 3 ans, la recherche s’articulait autour de plusieurs disciplines artistiques dans différents organismes. La danse, le théâtre et les arts visuels. Le volet musique était mené par la professeur Adriana De Oliveira à l’Accueil Bonneau. Grâce à une subvention du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, les chercheurs ont engagé Erik West Millette, un multi-instrumentiste compositeur de musique de film et réalisateur de disque, afin de conduire ce projet avec les gars de l’Accueil Bonneau.
Des ateliers d’instruments inventés
Comme l’explique la chercheuse Adriana De Oliveira, 4 séries d’ateliers de musique ont été offertes dès 2017 sur une période de 12 semaines chacune. Tous les lundis, ils se rendaient donc au studio de musique de l’Accueil Bonneau. Erik donnait des ateliers à une douzaine de gars en présentant des instruments qu’il avait lui-même inventés.
Un des rôles de Catherine Fabi, intervenante et coordinatrice des projets artistiques à l’Accueil Bonneau, était de faire le pont entre Erik et les gars. Celui de la professeure De Oliveira était d’accompagner Erik, toujours en lien avec la démarche artistique et pédagogique et la collecte de données.
Dès la première série d’ateliers, ils ont vite compris ce que les gars désiraient. Erik se souvient de leur demande.
Les gars m’ont dit : « Toi, Erik, tu as fait des disques pour plein de personnes, tu es un gars de studio. Nous, notre rêve, ça serait vraiment de faire un disque ».
Si les gars n’avaient pas eu ce rêve, ce désir profond, le disque n’aurait jamais existé.
Vers la réalisation du disque
Erik était d’accord pour se lancer dans cette expérience, mais il voulait que les gars composent eux-mêmes des musiques et qu’ils écrivent leurs propres textes. Les gars étaient du même avis. Catherine a pu constater qu’ils avaient les capacités pour aller de l’avant avec ce projet. La recherche menée par Adriana De Oliveira allait prendre une nouvelle direction, axée sur la composition.
Pendant des mois, tout ce beau monde se donnait rendez-vous au local de musique pour se nourrir de création et se libérer du trop-plein. Une fois par semaine, pendant deux heures, des mélodies naissaient de ces échanges. Des riffs, des chants et de la poésie. Chacun arrivait avec ses envies musicales. Erik donnait ses idées, entre deux chansons, prodiguant conseils et encouragements. Les gars avaient souvent des choses à préparer pour la prochaine rencontre, mais cela se faisait naturellement, sans obligation.
Un engagement incroyable
Catherine Fabi fut la directrice artistique et la grande coordonnatrice de l’album, faisant aussi le suivi de l’intervention et la recherche des partenaires. Pour elle, la création de cet album est un miracle de bout en bout.
« Certains des gars pouvaient se trouver dans une situation précaire. Des fois, ils dormaient mal. Leurs besoins de base n’étaient pas toujours comblés, mais malgré tout, ils se présentaient à chaque rencontre. Ils étaient extrêmement patients et matures. Erik était une sorte de catalyseur. Bien que chacun avait son idée de la création, ils arrivaient quand même à formuler quelque chose de commun, qui allait ensemble. »
Erik parle de la merveilleuse synergie qu’il y avait entre les gars et lui.
« Très vite, j’ai eu le respect des gars. Catherine m’a vraiment aidé. Le groupe est devenu tellement solide que lorsqu’il y avait des gars qui faisaient les fanfarons, les autres gars leur disaient d’arrêter parce ça nuisait à leur projet. Il y avait un sentiment de groupe. Moi, ils me considéraient comme étant dans le groupe. »
Deux ans plus tard, quand ils eurent fini la quatrième série d’ateliers, ils se rendirent compte qu’ils avaient encore besoin de plus de temps. À ce moment-là, la recherche de l’UQAM avait pris fin.
Avec beaucoup de ténacité, Catherine décida de poursuivre le projet avec les gars, toujours aussi motivés, jusqu’à la réalisation finale du disque. Les astres étaient alors alignés. Elle a vu passer un programme de soutien financier de la ville de Montréal, La pratique artistique amateur vers une citoyenneté culturelle dans les quartiers, inscrit dans le cadre de l’Entente sur le développement culturel de la Ville de Montréal conclue entre la Ville et le gouvernement du Québec. Ce programme offre aux organismes la possibilité de réaliser des ateliers de pratiques artistiques. Un de ces objectifs est de donner à des citoyens, qui sont peut-être plus éloignés de l’offre culturelle montréalaise, un accès à différentes activités. Cette subvention a permis de maintenir la participation d’Erik et de payer un studio d’enregistrement.
Après de longues discussions, les gars ont trouvé le nom du groupe : Osmia. Un clin d’œil aux abeilles maçonnes qui construisent leur ruche. Les gars ont construit eux aussi quelque chose de grand et de beau.
« De tous les disques que j’ai faits dans ma vie, explique Erik, ça été l’expérience la plus significative. Moi, j’ai toujours trouvé que la musique, c’était de la guérison. C’est de la guérison pour ceux qui en font et pour ceux qui l’écoutent. Avec eux, j’ai senti qu’il y avait eu une évolution thérapeutique. Pour eux, mais aussi pour moi. Ce qui m’a touché le plus était leur profondeur et leur désir viscéral de faire de la musique. »
Comme le souligne la professeur et chercheuse Adriana De Oliveira, la grande richesse de ce projet, c’est l’apport de chaque partenaire et c’est la caractéristique du projet en soi, car les gars ont travaillé en création collaborative. Ce qui ressort de cette recherche, c’est la fierté des gars, leur engagement, leur sentiment d’accomplissement et leur plaisir. Elle constate également que ce projet de composition musicale et de production d’un disque était une expérience significative qui leur permet d’être reconnus autrement que par l’identité liée à l’itinérance.
L’exposition Osmia
Jusqu’à la fin août 2021 se tient l’exposition Osmia au 4e étage de la Grande Bibliothèque. On y propose un poste d’écoute, composé d’une vitrine d’exposition et de deux douches sonores où les visiteurs peuvent écouter deux chansons, grâce à un dispositif auditif sans contact. Dans la vitrine, à l’esthétique inspirée des alvéoles d’une ruche, les clichés du photographe Mikaël Theimer accompagnent les témoignages et les dessins des membres du groupe. L’album est disponible dans la collection de prêts.
Depuis deux ans, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) est un partenaire de l’Accueil Bonneau. Une de ses missions est de rendre accessible la culture à des populations marginalisées ou empêchées, qui fréquentent ou non l’institution, en mettant sur pied des projets qui vont encourager cet accès essentiel.
En conclusion
Laissons le mot de la fin à Stéphane, un membre du groupe Osmia.
« Ça m’a donné la chance de jouer dans un band, d’écrire des paroles, de composer et de pouvoir les jouer en public à la nuit des sans-abris. Grâce à tout ça, je suis encore vivant, parce que la musique c’est tout pour moi. Ce que je veux, c’est de me faire entendre ; écrire et jouer ce que j’ai dans le cœur. Ça me rend heureux, et c’est rare les fois où j’utilise ce mot-là dans ma vie : heureux! »
Vous pouvez écouter deux chansons d’Osmia (différentes de celles de la bibliothèque) en cliquant sur les liens suivants.
Mission
Pour ceux et celles qui le souhaitent, vous pouvez vous procurer l’album sous contribution volontaire. Pour ce faire, contactez Jean-François Girard à cette adresse : . Vous n’aurez ensuite qu’à venir chercher votre album à l’Accueil Bonneau.